Le cours du pétrole détermine-t-il le prix des produits agricoles ?

Rédaction juin 2018.

La fin des classes ouvre le temps des récoltes dans nos campagnes. L’orge, le blé et le maïs se récoltent durant les mois d’été et contribuent à façonner nos paysages agraires qui défilent derrière les vitres de notre voiture. Et si le cours du pétrole influençait le prix de nos denrées agricoles ? Est-ce une réflexion sans fondement ou au contraire repose-t-elle sur des arguments recevables ?

Heureusement, M. Daniel ERDIN, responsable de la division Agristat qui est le service statistique de l’Union suisse des paysans développe d’un point de vue statistique la pertinence de cette question dans un article publié dans la revue Recherche Agronomique Suisse en 2010. En effet, son étude aboutit à affirmer positivement la corrélation entre le cours du pétrole et le prix de certaines denrées agricoles.

Au lieu de plagier son article très intéressant et dans lequel vous pouvez découvrir toute sa méthodologie et ses calculs statistiques, je vous invite à le lire et à le télécharger ici.

En guise de clin d’œil à notre attachante formation en datavisualisation (Université Paris Descartes), j’ai souhaité réaliser un graphique à l’aide de la librairie D3. Ce graphique montre l’évolution entre 1890 et 2017 (série longue) du prix de l’orge, du maïs, de l’huile de palme et du caoutchouc (indice base 100 en 1900) face au cours du pétrole durant cette même période de référence. Les données brutes sont accessibles sur le site Our World in Data de l’université d’Oxford et sont téléchargeables au format CSV. Elles se fondent sur une analyse publiée par Jacks (2016) : « From Boom to Bust : A Typology of Real Commody Prices in the Long Run ».

Le graphique permet de visualiser les principales fluctuations du prix du pétrole et de constater le comportement mimétique des courbes durant toute la période 1890-2017 des cours de l’orge, du maïs, de l’huile de palme, du caoutchouc et dans une moindre mesure celui du blé.


Pétrole

Orge

Maïs

Huile de palme

Caoutchouc

Source : Commodity Prices since 1860 - Jacks (2016).

Quelques repères saillants qui retracent à la fois l’histoire pétrolière mais aussi l'histoire du Monde :

1920 et 1945 : Situation au lendemain des 2 guerres mondiales

A la fin de la Première Guerre mondiale (1920), le pétrole connait une première poussée des prix dans sa jeune histoire économique. Son prix est x 2,5 par rapport à 1900. Ce phénomène se reproduit à la fin de la Seconde Guerre mondiale à un degré moindre (x 1,6 par rapport à 1900).

En effet, à partir de 1945, la découverte de nouveaux champs pétroliers engendre une augmentation de la production de pétrole et la forte croissance économique des pays industrialisés s’appuie sur un accès à une ressource pétrolière bon marché. Le passage du charbon au pétrole s’effectue durant cette période.

La flambée des prix est nettement plus forte pour les denrées alimentaires dans les années 1946-1947. L’effondrement des productions agricoles en Europe et en Asie, joint à l’incapacité de financer les importations provoquèrent une situation de pénurie alimentaire après la fin des hostilités. C’était sans compter une vague de sécheresses qui a touché l’URSS, l’Afrique du Nord et tous pays de l’Extrême-Orient en 1946-1947. Au contraire, les vivres étaient abondantes aux Etats-Unis, au Canada et en Argentine. Des excédents alimentaires dans certaines parties du monde coexistaient avec de graves pénuries dans d’autres pays.

citation Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les excédents alimentaires dans certaines parties du monde coexistaient avec de graves pénuries dans d’autres pays.

Années 70 : Crises alimentaire et énergétique

Au début des années 70 et à la différence de la précédente décennie, la production agricole mondiale connait une diminution. Elle se manifeste par une baisse des stocks céréaliers des principaux pays exportateurs et une hausse des prix des vivres dans le monde entier. Cette régression mondiale de la production agricole provoque une crise alimentaire notamment en Afrique à la suite d’épouvantables sécheresses. (tous les pays du Sahel, famines en Ethiopie en 1972 et en 1974).

Parallèlement, aux conditions météorologiques exécrables pour la maturation des céréales, le gouvernement Nixon aux Etats-Unis change la donne du système monétaire international en mettant fin à la convertibilité du dollar en or (1971). Ce qui revient de facto à une dévaluation du dollar par rapport aux autres devises internationales. Et pour contrer les effets de la dévaluation du dollar, les pays producteurs de pétrole (OPEP) décrètent un embargo pétrolier (prix du pétrole sont exprimés en dollar) en 1973 qui entraine une flambée des cours du pétrole brut en 1974. C’est le 1er choc pétrolier. Les répercussions sont immédiates pour l’agriculture. Le prix des engrais, des pesticides (à base de pétrole) ont fortement augmenté (x 3) et, dans leur sillage, les cours des produits agricoles.

La révolution iranienne, important pays producteur de pétrole provoque une crise encore plus grave en 1979. Le prix du pétrole est x 5 par rapport à son cours de 1972. C’est le 2nd choc pétrolier.


citation Les 2 chocs pétroliers (1974 et 1979) marquent l'économie des pays des années 70, favorisent la hausse des prix des produits agricoles et provoquent des crises alimentaires dans les pays fragiles.

Première moitié des années 1980 : Contre-choc pétrolier - Baisse des prix des produits agricoles

Les pays industrialisés mettent alors en place des politiques d’austérité monétaire et budgétaire qui ralentissent leurs activités économiques. Ce ralentissement se manifeste par une réduction des importations et coïncide avec une chute des cours internationaux des produits agricoles qui nuit au commerce. Durant cette période, les pays industrialisés mettent en place des politiques de protection de l’agriculture qui subventionnent massivement les exportations tout en réduisant les importations. A cette période, des tensions commerciales concernant le commerce agricole voient le jour. Côté pétrole, pour compenser la baisse du baril de pétrole brut, en accord avec les Etats-Unis, les principaux pays producteurs augmentent massivement leur production de pétrole. C’est le contre-choc pétrolier de 1986.

Des considérations géopolitiques viennent se greffer à cette situation économique : un effondrement du prix du baril de pétrole brut entraine une diminution des revenus de l’URSS fortement exportatrice de pétrole et déstabilise par conséquent les pays du bloc communiste.

citation Durant les années 80, les politiques d'austérité se mettent en place dans les pays industrialisés. Le prix des produits agricoles s'affaisse tout comme le prix du baril de pétrole.

Années 2000 : 3ème choc pétrolier et bulles spéculatives

A partir de 2002, le prix du pétrole connait une hausse rapide qui, contrairement aux 2 chocs pétroliers des années 70, se produit sans raison politique majeure. La spéculation sur les matières premières, la hausse de la demande chinoise, l’épuisement des réserves pétrolières mondiales (en particulier en Mer du Nord), les investissements trop faibles des années 90 (la faiblesse du prix du baril du pétrole des années 90 n’ont pas favorisé les investissements sur l’ensemble de la chaine pétrolière) sont les principaux facteurs de hausse du prix du baril de pétrole brut depuis le début des années 2000. Le prix du pétrole augmente régulièrement entre 2003 et 2007 puis connait une hausse d’une ampleur inédite en 2008 conjuguée à une crise financière mondiale. Entre 1998 et 2008, le prix du pétrole a été multiplié par 5. La consommation de produits pétroliers notamment en Chine et en Inde favorise l’augmentation du prix du baril de pétrole et les tensions géopolitiques au Moyen-Orient (Printemps arabe) en 2011 participe à cette flambée historique des cours du pétrole à un niveau supérieur à $100 le baril.

citation Les années 2000-2010 se caractérisent par le développement d'une bulle financière qui explose en 2007-2008 et qui conduit à une destabilisation des économies mondiales. Une forte volatilité s'empare des cours des matières premières agricoles et du pétrole. La chute du prix du baril de pétrole au plus fort de la crise contraste avec son pic historique en 2011.

A partir de 2014, le prix du baril de pétrole dévisse (divisé par 2 entre 2014 et 2016) dû notamment au développement du pétrole de schiste aux Etats-Unis et du rôle de l’Arabie Saoudite qui fait pression au sein de l’OPEP qui milite pour une offre non régulée afin de noyer le marché américain des huiles de schistes et d’enrayer la puissance pétrolière de Russie.

Quant aux marchés des produits agricoles, ils sont marqués depuis 10 ans par une succession de hausses et de chutes de prix. Cette volatilité excessive des produits agricoles se manifeste par une rupture dans la relation entre les prix et les stocks. Le développement des bio-carburants serait la principale cause de rupture dans les prix du maïs à partir de 2007.


En conclusion :

L’article de M. Erdin (Union suisse des paysans) souligne bien le lien entre le cours du pétrole et le prix de certains produits agricoles. Premièrement, certains produits agricoles comme le caoutchouc et l’huile de palme sont en concurrence directe avec les dérivés du pétrole. Quant au maïs, il entre dans la production du bio-éthanol qui dépend fortement du cours du pétrole.

Deuxièmement, cette corrélation positive cours du pétrole – prix des denrées agricoles s’explique aussi par l’augmentation des coûts de transformation, de l’emballage et du transport.

Enfin troisièmement, la conjoncture économique peut expliquer aussi le lien entre cours du pétrole et prix des produits agricoles.


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